Cette eau-forte de 1755 montre les ruines de Lisbonne en flammes et un tsunami submergeant les navires du port.
Des vestiges du tsunami historique qui a succédé au célèbre séisme de Lisbonne (1755) auraient été identifiés en Martinique par des archéologues et des géophysiciens.
Il a longtemps été l’archétype du tsunami. Ce matin du 1er novembre 1755, tous les habitants de Lisbonne, au Portugal, – l’une des plus riches capitales du XVIIIe siècle – célèbrent la Toussaint dans les églises regorgeant d’or de sa prospère colonie du Brésil. Soudain, en moins de 10 minutes, trois énormes séismes, dont la magnitude est aujourd’hui estimée entre 8,5 et 9 sur l’échelle de Richter, détruisent dans un fracas d’Apocalypse la quasi-totalité de la ville portuaire, tuant des dizaines de milliers d’habitants.
L’ampleur de la catastrophe est telle que Voltaire évoque le drame dans son Candide (lire encadré 1). Mais l’intensité des séismes dont l’épicentre se trouvait en mer à des centaines de km au sud du Cap St Vincent (Portugal), déclenche aussitôt un tsunami dévastateur qui rayonne dans tout l’océan Atlantique (lire encadré 2). Les flots déferlent sur des milliers de kilomètres jusqu’à atteindre les Caraïbes.
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« Chasseur de tsunamis »
Le géophysicien Jean Roger s’intéresse depuis plusieurs années aux tsunamis et à cette catastrophe en particulier. Et l’histoire qu’il raconte a été détaillée dans un article soumis à la revue en ligne Natural Hazards and Earth System Sciences, comme l’a rapporté l’hebdomadaire EOS, édité par l’American Geophysical Union. En collaboration avec une équipe d’experts regroupant archéologues et géophysiciens, il pense avoir retrouvé des traces de ce cataclysme hors-normes aux Caraïbes, dans la ville de Fort-de-France en Martinique. « Des descriptions de son passage sont attestées dans une douzaine de documents historiques à Terre-Neuve, au Brésil, et à la Martinique», explique le jeune spécialiste de géoscience joint par Sciences et Avenir.
C’est Emmanuel Moizan de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), qui alerte en 2013 Jean Roger, alors en poste à l’Université Antilles-Guyane. L’archéologue étudie en effet des bâtiments du XVIIe-XVIIIe siècle dans un quartier central de Fort-de-France et découvre un étrange dépôt de sable noir. Il invite le géophysicien et Valérie Clouard, directrice de l’Observatoire de la Martinique de l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPG), à venir examiner cette couche épaisse de 7 à 9 cm, superposée à du sable blanc d’1,25 cm issu de la dégradation d’un récif coralien de la baie de Fort-de-France. Tout indique qu’il s’agit d’une relique du puissant cataclysme de 1755 décrit dans les archives !
Sur la base de datations réalisées sur des poteries, les archéologues de l’INRAP parviennent à estimer que cette couche de sable noir s’est déposée entre 1726 et 1783. «Or le seul évènement majeur assez puissant pour être à l’origine de ce dépôt ne peut être que le tsunami de 1755», explique Jean Roger. «Aucun autre évènement climatique d’envergure pouvant être retenu ne figurait dans les documents historiques de la ville pour ces périodes», ajoute Valérie Clouard, également jointe par Sciences et Avenir. Restaient alors à déterminer la provenance de ce sable noir et la façon dont il était arrivé jusque-là… Les investigations, menées par ces chercheurs dans toute l’île et les archipels voisins, dureront deux ans.
Et le scénario établi est désormais le suivant : après avoir parcouru en 7 heures les 5700 km qui séparaient les côtes du Portugal de celle de l’île des Caraïbes, une marée de 3m à 4m de haut a déferlé sur la Martinique. « Il faut imaginer cette élévation du niveau marin comme un phénomène de mascaret », précise Valérie Clouard. En pénétrant avec énergie dans Fort-de-France, la mer a littéralement balayé l’embouchure de la rivière Madame*, l’unique endroit à posséder une petite plage de sable noir issu des roches du complexe volcanique de la montagne Pelée.
Ce sable noir a alors été transporté par l’inondation à l’intérieur de la ville, où ces sédiments se sont alors déposés sur une épaisseur de 7 à 9 cm (voir carte). Un second site archéologique a depuis été découvert par Emmanuel Moizan (INRAP) avec ce même dépôt. « Tous ces témoignages concordent avec nos modèles numériques et les descriptions historiques », explique Jean Roger. « Sans compter des données de même type liées au tsunami de 1755, décrites récemment par une équipe américaine à Anegada, l’une des îles Vierges britanniques», conclut la directrice de l’Observatoire de la Martinique.
Répartition des flux du tsunami de 1755 entrant dans Fort-de-France, à l’époque quadrillée par de nombreux canaux qui n’existent plus aujourd’hui. Leur présence était liée à l’assèchement de la mangrove sur laquelle a été bâtie la ville. Jean Roger/Valérie Clouard/Emmanuel Moizan
- Citation :
Extrait du Candide de Voltaire
«… À peine ont-ils mis le pied dans la ville en pleurant la mort de leur bienfaiteur, qu’ils sentent la terre trembler sous leurs pas ; la mer s’élève en bouillonnant dans le port, et brise les vaisseaux qui sont à l’ancre. Des tourbillons de flammes et de cendres couvrent les rues et les places publiques ; les maisons s’écroulent, les toits sont renversés sur les fondements, et les fondements se dispersent ; trente mille habitants de tout âge et de tout sexe sont écrasés sous des ruines… ».
Ruines de Lisbonne : les survivants habitèrent dans des tentes en bordure de la ville comme le montre cette gravure allemande de 1755. Domaine public
- Citation :
Un tsunami
(du japonais : tsu, « port » et nami « vague ») n’est pas la conséquence d’éléments à caractère météorologiques (vents, etc) mais une onde provoquée par un rapide mouvement d’un grand volume d’eau (océan ou mer). Ce mouvement est en général dû à un séisme, à une éruption volcanique sous-marine de type explosive ou bien à un glissement de terrain sous-marin de grande ampleur. Un impact météoritique peut aussi en être la cause, de même qu’une explosion atomique sous-marine.Les tsunamis, dont l’appellation est officielle depuis 1963, font partie des catastrophes les plus destructrices de l’histoire. Sur les quatre derniers millénaires, 279 événements au moins ont été répertoriés. totalisant plus de 600 000 victimes à travers le monde. Le tsunami de 2004 dans l’océan Indien est la catastrophe la plus meurtrière des 30 dernières années, avec plus de 250 000 victimes (source BRGM).