Un simple coup d’œil à ce que les cultures traditionnelles appellent signes ou présages nous donne un autre indice sur la manière dont fonctionne le langage divinatoire. Dans de nombreuses cultures, les oiseaux sont les créatures d’augure par excellence. Qui plus est, signes et oiseaux sont interchangeables. « Heureux celui qui sait reconnaître les oiseaux et éviter les démons », écrit un vieux poète. Les oiseaux sont les messagers du changement, du sort, de l’illumination, de la mort et des métamorphoses. Ils sont les guides spirituels et les moyens de transport pour voyager vers et dans d’autres réalités.
Des esprits aux allures d’oiseaux et des sorciers aux masques de plumes hantaient déjà les grottes de Lascaux, il y a plus de 15 000 ans, comme en témoignent les peintures rupestres retrouvées, ces mêmes esprits qui descendent et investissent le corps du chamane pour le porter dans son voyage spirituel vers les cieux. Le chamane chinois va, quant à lui, tenter, lors de son périple extatique, de convier ces « esprits à plumes » à se réincarner dans des êtres humains.
Corbeaux et corneilles, grues et plongeons sont signe de changements, voire de métamorphoses. Hiboux et vautours annoncent l’ouverture des portes de la mort et de la sagesse. La colombe proclame la visite de la déesse du désir ou du Saint-Esprit.
Les signes ornithologiques, les auspices, signalent la présence d’esprits, réminiscence du paradis céleste. Ils sont la preuve que l’être humain n’est pas seul dans ce monde envahi de démons et de puissances hostiles.
Les oiseaux migrateurs ont le don inné de suivre les courants électromagnétiques, pouvant ainsi prédire tout changement climatique. Les trappeurs savent que les oiseaux voient tout et peuvent leur signaler tout mouvement animal dans la forêt. Apprendre leur langage, c’est se garantir la compréhension de l’incompréhensible.
Le vol des oiseaux serait même à l’origine de l’écriture et leur chant à celle de toute musique.
" Les oiseaux" disait Plutarque, un philosophe grec et célèbre prêtre d’oracle (46-120 de l’ère chrétienne)" à cause de leur rapidité, de leur intelligence, de la précision de leurs mouvements –qui sont le signe qu’ils sont au courant de tout – sont au service du divin. Parfois, ils restent en retrait, parfois ils fondent sur vous afin d’interrompre violemment vos actions ou intentions en cours ou, au contraire, pour en aider l’accomplissement. C’est pourquoi nous les appelons les messagers des dieux."
Les oiseaux sont l’expression même d’une intervention divine. Au même titre que les cartes, les dés, les rêves, les voix, les visions, ils ont le pouvoir de transmettre des messages de l’invisible.
Ils sont ainsi associés au Démon – dans son acception grecque daimôn , c’est à dire génie protecteur – gardien des cieux et du lien unissant le monde des dieux à celui des hommes. C’est la même idée qui revient dans la littérature chrétienne médiévale qu tente de prouver que les oiseaux sont les alliés des Saints.
Bien que tout oiseau puisse avoir un rôle d’augure, certains sont plus investis que d’autres. À l’époque homérienne, en Grèce, comme dans bien des cultures indo-européennes, l’oiseau de présage par excellence était l’aigle ou l’épervier, l’oinos , toujours associé aux rois, aux destinées, au sang et aux sacrifices.
La Grèce Antique reconnaissait trois sortes de devins : Hieros, qui pouvait lire dans les entrailles des animaux sacrifiés ; Onieropolos, le scrutateur de présages oniriques, et Mantis, qui seul était capable d’interpréter la symbolique ornithologique et de voir – prévoir – dans les signes. Ce pouvoir était un don – ou une malédiction – qui se transmettait dans certaines familles.
Stephen Karcher