Quelques pistes pour comprendre les lignes et géoglyphes de Nazca, qui font couler beaucoup d'encre depuis leur découverte dans les années 20.
Début août 2014, une tempête de sable a permis de dégager trois figures supplémentaires inconnues jusqu'ici, je posterai leurs photos à la fin de la deuxième partie (source Daily Mail). J'ajoute aussi une carte et des vidéos n'apparaissant pas dans l'article original.
L'énigme des lignes de Nazca : décodage (1/2)
Les lignes de Nazca, avec ses géoglyphes d'animaux et de plantes, figurent parmi les réalisations les plus mystérieuses du Pérou pré-colombien et même du monde. Bien moins célèbres peut-être que les pyramides de Gizeh en Égypte ou Stonehenge en Angleterre, ils s'intègrent dans la même catégorie d'énigmes, car aucun d'eux n'a été complètement décodé.
Se plaçant probablement en troisième position de popularité pour les visites de sites anciens du Pérou, le Machu Picchu classé sans contestation numéro un et la région du lac Titicaca numéro deux, Nazca reçoit des centaines de milliers de touristes par an. Ceux qui en ont le courage survolent la vaste plaine de Nazca pour observer les marques vues du ciel. Et les autres, quelque peu inquiets à l'idée de grimper dans un petit avion dans un pays étranger se contentent de regarder quelques géoglyphes et lignes du haut d'une tour au bord de la route.
Les alignements de Nazca se trouvent dans le désert de Nazca au sud du Pérou, à relativement faible distance de l'océan Pacifique. Ils ont été inscrits comme site du patrimoine mondial par l'UNESCO en 1994. Le vaste et aride plateau de Nazca s'étend sur plus de 80 km entre les villes de Nazca et Palpa sur les Pampas de Jumana à environ 400 km au sud de Lima, capitale du Pérou.
Nazca est l'un des endroits les plus secs au monde avec une moyenne annuelle de précipitations de 25 millimètres. Son climat est contrôlé par le courant de Humboldt qui charrie les eaux antarctiques vers la côte ouest de l'Amérique du sud. Cette eau froide océanique refroidit l'air marin et limite l'accumulation d'humidité dans les nuages et bien que nuages et brouillard puissent se former, il n'y a que peu de précipitations et la région est exceptionnellement aride.
De nombreux archéologues pensent que la culture nazca a prospéré de – 100 à + 600 dans les vallées du bassin du Rio Grande de Nazca et la vallée d'Ica. Fortement influencée par la culture Paracas qui l'a précédée, connue pour ses textiles extrêmement complexes, la culture nazca a produit une variété d'artisanats et de techniques d'une grande beauté, tels que céramiques, textiles et peut-être les fameux géoglyphes qui portent son nom.
Cependant, la théorie majeure que propose mon livre n'est pas seulement une remise en question de la durée de la culture nazca, mais également de ses réalisations. Un expert bien placé à ce sujet est Juan Navarro, directeur du musée d'histoire de Paracas, situé dans la petite ville de Chaco, près de la réserve nationale de Paracas. Bien que n'étant pas un universitaire diplômé, Juan a grandi dans la région et a passé plusieurs dizaines d'années à étudier les cultures pré-colombiennes qui vivaient là. Ces cultures se sont étendues sur plus de 2000 ans et se sont composées, dans l'ordre chronologique, de celles de Paracas, de Nazca, de Wari (Huari), de Chincha et des Incas.
La date du premier peuplement de la région de Nazca n'est pas claire. En termes de cultures réellement organisées, elle a été peuplée de groupes sédentaires au moins depuis la période formative (période initiale entre – 1800 et – 800, et la culture Paracas entre – 800 et + 100). Dans la première période intermédiaire (de – 200 à + 600), la région prospérait avec la culture nazca. À la fin de la période nazca, une extrême désertification a conduit au déclin de la culture. Ce ne fut que vers la dernière période intermédiaire (entre +1000 et +1450), pendant une phase d'augmentation de la pluviométrie que la population de la région a de nouveau augmenté. Les groupes qui se sont installés étaient les Huaris, migrant des hautes terres vers l'est, puis les Chinchas venant de la côte péruvienne et se dirigeant vers le nord et enfin les Incas. Le grand mystère de la région nazca, ce sont bien sûr les auteurs des lignes et des formations géoglyphes animalières et végétales et la date de ces réalisations. Les Incas n'étaient pas connus pour de telles entreprises, pas plus que les cultures antérieures des peuples Chincha ou Huari. Ce furent donc les nazcas ou un peuple encore plus ancien.
Avant d'approcher le sujet de la datation, voyons pourquoi les nazcas ont disparu en tant que civilisation. Des archéologues examinant les vestiges des nazcas ont découvert une séquence d'événements induits par l'homme qui ont conduit à un effondrement catastrophique autour de + 500. Des experts se sont efforcés d'expliquer pourquoi une société qui était à l'évidence prospère durant la première moitié du premier millénaire s'est ensuite effondrée dans une course aux ressources acharnée et a ensuite disparu.
Certains arguments parlent de la possibilité d'un "méga El Nino", qui aurait touché la région à cette époque-là et qui aurait pu durer de nombreuses années. L'oscillation australe El Nino/La Nina est une bande de températures anormalement chaude de l'océan qui se développe occasionnellement au large de la côte ouest de l'Amérique du sud, surtout en face du Pérou et de l'Équateur et qui peut entraîner des changements climatiques sur l'océan Pacifique. La parution dans le journal American Antiquity d'une étude rédigée par une équipe de chercheurs de l'institut pour les recherches archéologiques de l'université de Cambridge, suggère cependant que les nazcas ont malencontreusement provoqué leur propre disparition. Grâce à des restes de plantes ramassés dans la basse vallée de l'Ica, l'équipe a trouvé la preuve qu'au fil des générations, les nazcas ont défriché les zones de forêts pour laisser place à leur propre agriculture. Des études d'échantillons de pollens prélevés par un chercheur de l'institut français des Andes de Lima, ont montré que l'arbre huarango [prosopis pallida, famille des mimosas, voir photo ci-dessous à droite], qui recouvrait autrefois l'actuel zone désertique, a été graduellement remplacé par des cultures, coton et maïs entre autres. En l'absence de couverture végétale procurée par cet arbre, dont les racines fixent l'azote, et pendant une période El Nino, le lit de la rivière s'est réduit, les systèmes d'irrigation ont été endommagés et la zone est devenue impraticable pour l'agriculture. Les gens ont donc péri ou ont été obligés de partir.
Le huarango
Contrairement à la croyance populaire que les lignes et figures ne peuvent être vues que du ciel, elles sont, au moins pour certaines d'entre elles, visibles depuis le sommet des contreforts environnants. C'est un archéologue péruvien, Toribio Mejia Xesspe, qui a été le premier à les découvrir en 1927, à l'occasion de randonnées à travers les contreforts. Il en parla lors d'une conférence à Lima en 1939. Xesspe Mejia était l'un des principaux disciples de Julio C. Tello, qu'il accompagnait dans les sondages et fouilles archéologiques réalisés dans le pays.
Paul Kosok, historien de l'université de Long Island aux USA aurait été le premier universitaire à étudier sérieusement les lignes de Nazca. Pour examiner les anciens systèmes d'irrigation du pays, il survola en 1940 et 1941 les lignes et réalisa que l'une d'elles avait la forme d'un oiseau. Un autre coup de chance l'aida à voir comment convergeaient les lignes au moment du solstice d'hiver dans l'hémisphère sud. Il commença à étudier sérieusement comment les lignes auraient pu être créées, et il essaya aussi de déterminer leur but. Il fut rejoint par Maria Reiche, une mathématicienne et archéologue allemande qui l'aida à comprendre le but des lignes de Nazca.
Déterminer comment elles ont été faites fut plus simple que de comprendre pourquoi. Des érudits ont émis la théorie que le peuple nazca aurait pu utiliser des outils simples et du matériel d'arpentage pour construire les lignes. Des recherches archéologiques ont mis à jour des piquets de bois enterrés à l'extrémité de certaines lignes, ce qui soutient cette théorie. Un de ces piquets a été soumis à une analyse au carbone et il a servi de base pour établir l'âge de ce complexe. La datation d'un seul piquet ne peut constituer une preuve assez solide pour dater toutes les lignes et figures.
Maria Reiche, éminemment célèbre pour ses études sur le phénomène Nazca, accomplies pendant plus de 50 ans, avait ses propres idées sur l'âge des lignes et des figures :
"Le peuple qui a réalisé les dessins de Nazca a vécu dans différentes vallées sur une période de 3000 ans ou plus et a laissé comme testament de son existence des millions de strates dans lesquelles on a trouvé des œuvres d'or fin et d'argent, d'excellentes poteries et les plus beaux vêtements du monde. Nous ne savons pas quand ils ont réalisé les dessins. L'énorme quantité de dessins, exécutés chacun avec la plus extrême précision, a dû prendre au moins la moitié d'une génération à fabriquer. Un test au carbone 14 sur un piquet trouvé au bout d'un quadrilatère dans un tas de pierre donne l'année 550 de notre ère, mais je suis sûre qu'ils sont bien plus anciens que ça ! Nous savons que les activités de dessin se sont prolongées à la période inca parce qu'il y a plusieurs dessins qui sont typiques du style inca, parfois tracés par-dessus des petites figures plus anciennes, toujours visibles en dessous. Ce qui fait que l'activité de traçage a très bien pu s'étendre sur 2000 ans ou plus".
Le fait que la plus grande partie de la plaine de Nazca est aussi plate que le dessus d'une table, créer une ligne droite n'est pas très compliqué et aurait pu être fait par de très simples techniques d'arpentage, à l'aide de trois piquets seulement. On place un piquet dans le sol, à la verticale, et ensuite un autre devant, dans la direction désirée. Puis un troisième piquet est placé en avant des deux premiers, en ligne droite, à la manière dont on délimite une barrière. On pouvait ensuite enlever le premier piquet et le mettre à quelque distance devant le troisième et ainsi de suite. Si on souhaitait s'assurer que la ligne gardait sa rectitude, le premier piquet pouvait rester en place jusqu'à l'achèvement du travail, en assurant la précision. Pas exactement une activité nécessitant "l'intervention d'extra-terrestres".
Joe Nickell, un spécialiste de l'université du Kentucky, a reproduit les figures en se servant d'outils et d'une technique qui était à la disposition du peuple nazca. Son travail a été décrit comme "remarquable dans son exactitude" comparé aux lignes réelles. Avec un plan soigneux et de simples techniques, une petite équipe de gens a pu même recréer les plus grandes figures en quelques jours, sans aucune assistance aérienne. Nickell commente : "La majorité du travail sur le problème des méthodes de conception de Nazca a été fait par Maria Reiche. Elle explique que les artistes de Nazca préparaient des ébauches préliminaires sur de petites surfaces de 1,80 m². Ces surfaces sont toujours visibles près de nombre de grandes figures. Le dessin préliminaire était ensuite divisé en ses éléments pour agrandissement. Les lignes droites, a-t-elle observé, pouvaient être faites en tendant une corde entre deux piquets. Les cercles pouvaient être facilement dessinés au moyen d'une corde attachée à un rocher ou à un piquet et les courbes plus complexes pouvaient être dessinées en reliant les surfaces appropriées. Comme preuve, elle rapporte qu'il y a effectivement des pierres ou des trous à des points qui sont les centres des arcs."
Le "colibri"
Le travail de Nickell montre qu'en théorie les figures animalières auraient pu être faites à l'aide d'un dessin à l'échelle ou autre technique similaire, et il démythifie l'idée qu'elles n'auraient pu être réalisées qu'avec leur dessinateur dans les airs, dans un ballon primitif ou une "soucoupe volante". Quand la surface de pierres et de graviers riches en oxyde de fer est enlevée, l'argile d'une légère couleur blanchâtre qui se retrouve exposée au fond de la dépression produit des lignes dont la couleur et la nuance tranchent nettement avec la surface de terre environnante, créant donc un contraste.
À suivre.
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