Au XVIIIe siècle, les crapauds sont l'objet de rituels barbares particulièrement prisés de l'élite : baptisé du nom de Jésus-Christ au cours d'une messe noire, un crapaud est souvent crucifié, la tête en bas, à l'issue de la cérémonie. Cette mode persiste au XIXe siècle.
Bien entendu, au XX° siècle, les crapauds n'ont pas cessé d'être les victimes des sectes de toute origine. En 1938, aux environs de Saint-Rémy-de-Provence, un journaliste a pu assister à une cérémonie de sorcellerie au cours de laquelle une "sorcière" jetait un sort mortel à une personne en criblant d'épingles une poupée, puis en la trempant dans le sang d'un crapaud préalablement crucifié sur une Bible.
Dans le monde entier, le crapaud semble avoir inspiré une même répulsion. Au Togo, la tribu des Hos a coutume de choisir un bouc émissaire pour "expier" les péchés collectifs de la tribu : le crapaud est traîné tout autour du village, jusqu'à ce qu'il meure.
Dans l'ancienne Perse, les zoroastriens considéraient le crapaud comme un symbole du mal et le traitaient par conséquent en animal à détruire.
Ces superstitions restaient profondément enracinées dans les légendes et dans le folklore quotidien des campagnes européennes. Aucun animal n'a suscité autant de dégoût, pas même le serpent, rejeté par les chrétiens comme symbole de la tentation.
Curieusement pourtant, certains ont tenté d'en inverser la signification. Clovis, le grand roi des Francs, portait trois crapauds sur sa bannière de guerre. La tradition veut que ces trois crapauds se soient transformés en trois fleurs de lis, ce qui expliquerait le choix de la fleur de lis comme symbole du pouvoir monarchique français. On attribue à cette transformation miraculeuse la conversion du roi barbare à la nouvelle religion de l'Europe romaine.
Pour beaucoup d'historiens, il faut prendre au sérieux l'origine
" amphibienne " possible de la fleur de lis des bannières royales françaises...
En Roumanie, les crapauds ne sont jamais molestés, même si le peuple les craint et les évite. On dit d'un homme qui est capable de tuer un crapaud, qu'il est capable de tuer sa propre mère.
En Cornouailles, non seulement le crapaud est respecté, mais il est même vénéré et considéré comme porte-bonheur. Dans les mines d'étain de cette région, voir un de ces animaux est un heureux présage.
Toujours en Grande-Bretagne, dans la région de Cambridge, on apprécie ces amphibiens, qui détruisent les araignées, lesquelles ont pris leur place comme créatures de Satan ! On raconte également que les crapauds peuvent indiquer, par leur comportement, le temps, les orages ou la sécheresse. Cette croyance est à mettre en relation avec le folklore de la grenouille dans son bocal, qui fait office de baromètre en montant ou en descendant d'un perchoir en forme d'échelle...
Dans le Norfolk, il existe également une très ancienne tradition liée aux rites de la terre. Dans cette région, toujours réputée pour la qualité de ses chevaux de labour, les charretiers forment une corporation, presque une société secrète. On les appelle les toadmen ( " hommes aux crapauds " ).
L'un de ces toadmen, Albert Love, a révélé les secrets de ses compagnons et leurs art de mener les chevaux. Selon eux, il faut prendre un crapaud dans les joncs, le tuer et le laisser sécher 24 h sur un buisson d'aubépines. Il faut ensuite l'enterrer dans une fourmilière et l'y laisser jusqu'à la pleine lune suivante.
Il faut alors récupérer le squelette du crapaud et le jeter, au clair de lune, dans un ruisseau. Si les os remontent le courant, on peut les conserver. Sinon, le " charme " est à recommencer.
Les manipulations ne sont pas terminées. On doit étuver les os qui ont remonté le courant, les réduire en poudre et diluer cette poudre dans une huile spéciale. Avec le mélange ainsi obtenu, on enduit la langue, la bouche, les naseaux et le poitrail d'un cheval. Celui-ci est alors l'esclave de son maître et lui obéit au doigt et à l'œil...
La survivance de ces pratiques immémoriales permet de mieux comprendre une partie de l'aversion irraisonnée des Européens pour les crapauds. Intégrés aux coutumes magiques préchrétiennes, ces animaux, plutôt utiles, sont devenus symboles de paganisme et pourchassés comme tels. Le fait qu'ils aient été largement employés par les sorciers, qui ne faisaient souvent que reprendre un certain nombre de rites païens, est un indice supplémentaire. On peut supposer que, du temps où les Européens vivaient en paix avec leurs dieux païens, les crapauds connaissaient également la paix ! Nous avons vu que, chez les Romains, ils pouvaient servir à montrer le nord !
Après tout, l'attitude populaire à l'égard des crapauds (massacre de ce qui est jugé impie, indifférence ou porte-bonheur) est sans doute révélatrice de la capacité de tolérance et de respect d'autrui d'une société ou d'une culture...